Le tatouage polynésien est un art qui me plait énormément, de par son histoire, sa créativité, son sens… Loin de l’effet de mode, le tatouage est un art culturel de la Polynésie… Véritable expression d’une identité, le Tātau reflète l’âme de celui qui le porte…

Longtemps interdit par les missionnaires, le tatouage polynésien reprend ses lettres de noblesse depuis quelques années, notamment sur les corps féminins… Il traduit ce qu’il y a de plus profond dans l’homme… Les motifs ne sont jamais faits au hasard et sont réalisés à main levée. Le tatouage est sans nul doute le reflet de votre identité…

De là à se faire tatouer, il n’y a qu’un pas… Ou presque !

Ma découverte du tatouage comme un art :

Le tatouage ne laisse personne indifférent : parfois il choque, il « dégoute » (j’ai lu plusieurs fois ce genre de commentaires…), il intrigue, passionne, attire…

Avant d’arriver en Polynésie, au milieu des années 90, le tatouage ne signifiait pas grand-chose pour moi ! Enfin pas vraiment… Comme pas mal de monde, à cette époque où le tatouage n’était pas aussi courant que maintenant, pour moi le tatouage c’était (attention liste de préjugés à suivre lol) : pour les hommes, les rockers, les rebelles ou ceux qui avaient fait de la prison ! Oui oui, tout ça comme préjugés !

Alors autant vous dire que lorsque mes pieds ont touché le tarmac de l’aéroport de Faaa, à Tahiti, mes idées préconçues ont vite été bousculées ! J’ai découvert qu’en Polynésie, le tatouage est un art culturel et traditionnel… Et à ce moment là, je n’imaginais pas la place que cela prendrait dans ma vie (et sur mon corps !!!) !

Se faire tatouer : ce grand saut

Pour mon père cela a vite été une évidence de vouloir se faire tatouer en Polynésie. Pour ma petite sœur, Virginie, l’histoire est plus atypique. Scolarisée au collège de Mahina où nous habitions (commune située sur la cote est de Tahiti, très connue pour sa plage et son phare de la Pointe Vénus), Virginie est partie en voyage scolaire aux Iles Marquises. Situé à plus de 1300km au nord de Tahiti, cet archipel est principalement constitué des îles de Nuku Hiva, Ua Pou, Ua Huka, Hiva Hoa, Tauata et Fatu Hiva. Les Îles Marquises ont été mises en lumières par Paul Gauguin, Jacques Brel ou encore Michel Bussi. Durant ce voyage scolaire avec sa classe, Virginie appelle à la maison pour demander la permission de se faire tatouer pendant son séjour ! Mon père étant absent, je lui ai dit « fonce, il ne dira rien » !!! Effectivement, il n’a rien dit (ouf) ! Quand j’y repense, je me dis que jamais cette situation n’aurait pu se présenter en Métropole !!!

Moi j’ai besoin d’un peu plus de réflexion en général… Je voulais être sure, réfléchir aux motifs, à l’endroit du corps. J’avais 17 ans et je ne voulais rien regretter…

Le plus important : choisir LE tatoueur

Quand on aime un tatoueur, difficile de se faire piquer par un autre après…

Nous avons rencontré Chime, chez lui à Moorea (l’île sœur de Tahiti située à seulement 17km). Chime est un « maître tatoueur », qui a énormément participé au développement, à la promotion mais également à la protection du tatouage polynésien dans le monde. C’est une bible du tatouage et spécialiste du Patutiki. Le Patutiki est l’authentique tatouage marquisien : « patu » qui signifie « frapper » et « tiki » qui veut dire « image, figure ». Il a su nous mettre en confiance, nous expliquer les motifs et comment il tatouait…

Il m’a fallu du temps après Chime pour trouver « le mien » en Métropole. C’est une question de feeling et de confiance évidemment. Je suis triste et en colère quand je vois sur les réseaux « recherche tatoueur bon et pas cher »… Bon et pas cher… Un travail ça se paye et un tatoueur ça se cherche seul en fonction de ce que l’on veut vraiment… Il faut prendre le temps…

C’est grâce à mon père que j’ai rencontré Stéphane KOHUMOETINI, tatoueur marquisien installé en Normandie depuis quelques années. Ils sont entrés en contact sur les réseaux quand mon père cherchait un tatoueur polynésien en Métropole pour son livre Vahine Tātau (ce livre, qui sortira à l’été 2022, montre en photos le renouveau du tatouage polynésien sur les corps féminins). Stéphane habitait à 45km de chez moi. J’ai accompagné mon père pour le rendez-vous et quel bonheur de découvrir le travail de cet artiste ! 2h avec lui, à le découvrir, à l’écouter, à regarder les photos des tatouages qu’il avait fait. J’avais déjà en tête l’envie d’un nouveau tatouage depuis plusieurs années.

Mais je voulais LE bon tatoueur ! Et j’avais dit à mon père de ne pas parler de mon projet car j’avais besoin de me sentir bien avec lui. Au bout des 2h, ça été comme une évidence ! Paul Eluard a dit « il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous »… Je pense qu’il a raison : à la fin de notre rendez-vous, Stéphane nous a présenté son épouse. Et quand elle s’est tournée vers moi elle m’a immédiatement reconnue (moi non je l’avoue…) ! Nous étions scolarisées dans la même classe au Lycée Paul Gauguin à Papeete (la capitale de Tahiti)!!! Quelle était la probabilité de se retrouver au fin fond de la Normandie ? Pas très grande, et pourtant … Depuis, nous nous quittons plus ! Si j’avais besoin d’un signe pour que Stéphane me tatoue, il était là !!! Il a su mettre sur mon corps, les moments importants de ma vie, mes passions, mes forces, avec beaucoup d’amitié et de patience (j’aime chanter, et principalement Céline Dion ou Jean-Jacques Goldman, pendant qu’il me pique lol !!).

Séance tatouage avec Stéphane KOHUMOETINI

Mes tatouages : 2 salles, 2 ambiances !

La durée de réalisation d’un tatouage varie selon la complexité du dessin, le tatoueur et la sensibilité à la douleur… Pour ma part, le plus douloureux a été le bracelet de cheville et cela a duré 1h environ. Mais paradoxalement, c’est le 1er tatouage qui m’a été fait ! La douleur ne m’a donc pas empêché de recommencer. Nous étions installés en toute simplicité dans le salon de Chime, sur un matelas au sol. Je me souviens qu’il pleuvait fort ce jour là et la nuit tombait… Allongée sur le ventre, les premières piqures m’ont fait prendre conscience de ce que je faisais… Un ami de Chime était présent, et il avait exercé des points de compression sur moi. J’ai demandé à Chime qui était cette personne : il l’appelait « Jésus » (visiblement Chime et les prénoms ça fait 2 lol), il venait d’Hawaï et c’était un vétéran du Vietman. Avec ces points de compression, Jésus faisait du magnétisme pour tenter d’atténuer la douleur. Je ne me souviens pas si cela a fonctionné ou pas, mais je sais que dans mon esprit cela a ajouté une force « mystique » au moment présent… Chime aimait tatouer en écoutant la musique de Manahune (groupe musical tahitien qui associe à la perfection paroles en tahitien et sonorités rock), et c’est comme ça que je suis tombée amoureuse de ce groupe … A cette époque (milieu des années 90), c’est avec un rasoir électrique transformé que j’ai été tatouée… Les lames étaient évidemment retirées, et les aiguilles étaient fixées sur le système oscillant avec une ficelle ! Avec le recul, je me demande si je l’aurais fait aujourd’hui avec cet outil ! Mais je suis fière de ces 4 tatouages que Chime a réalisé de cette façon…

Maintenant, tout est beaucoup plus aseptisé et encadré. Pour les suivants, qui ont été faits chez Stéphane, j’ai été reçue dans un local conçu pour le tatouage. On est installé sur un fauteuil confortable, on est mis en confiance. Avant chaque nouveau tatouage, on reparle du projet, on redéfinit l’objectif comme une dernière mise au point. Le tracé est fait sur la peau pour valider la taille et l’emplacement, et il faut pouvoir se projeter pour se dire que ce vulgaire coup de stylo va devenir un magnifique tatouage !! Les appareils sont plus modernes évidemment et surement moins douloureux. Je m’amuse à dire que le plus douloureux c’est le coup de sopalin qui est passé régulièrement sur le tatouage ! Je sais que certaines personnes mettent de la crème anesthésiante, c’est un sacrilège pour moi !!! Le tatouage le plus long a été celui du buste : 3 sessions de 3 ou 4h ont été nécessaires… Le sentiment à ce moment là est indescriptible : un savoureux mélange d’appréhension, de fierté, de force et un peu de douleur aussi, on ne va pas se mentir ! Certains endroits (comme les côtes ou entre la poitrine) ont été plus sensibles que d’autres. Mais je suis de ceux qui pensent que la douleur fait partie du processus, que cela fait prendre conscience de ce que l’on fait … Mais elle ne m’empêche pas d’avoir envie de recommencer ! La preuve, c’est que je pense déjà au suivant !

Un tatouage familial : un nouveau saut

Mon père a toujours voulu que nous ayons un « tatouage de famille »… Nous y étions favorables également, mais à trop souvent remettre les choses elles finissent par ne pas se faire… Nous pensions avoir le temps… !

Quand mon père est décédé en 2019, immédiatement ma sœur a ressenti ce besoin de faire ce tatouage familial. On a été d’accord toutes les deux pour dire qu’il fallait faire celui que mon père avait au poignet. Ce tatouage il l’avait fait pour son métier de photographe et c’est Chime qui lui avait fait. Et il l’a ensuite utilisé comme logo pour marquer ses photos… Ma soeur a profité de son séjour en Polynésie pour le faire faire par « son » tatoueur, Eric Gresset. Eric est un artiste polynésien qui tatoue, sculpte le bois, la nacre, peint, dessine et qui œuvre pour la reconnaissance de la culture polynésienne. C’est lui qui a sculpté et peint la plaque tombale du caveau de mon père…  Ma nièce Léa a également souhaité faire ce tatouage… Elle a rencontré un tatoueur polynésien près de Lyon, lui a expliqué le projet et s’est jetée à l’eau !

Une fois de plus pour moi, ça a été plus long… Vous commencez à me connaitre !!! Déjà j’ai toujours dit que je ne voulais pas de tatouages trop visibles, donc le poignet c’était visible ! Et puis je ne me sentais pas prête pour ce tatouage. Je devais faire mon deuil (chacun le fait différemment), je devais l’accepter… J’en avais parlé avec Stéphane et il m’avait dit « pas maintenant, tu n’es pas prête »… Un dimanche de septembre, pendant le traditionnel mā’a (repas), il m’a prise à part et m’a dit « maintenant tu es prête ! C’est maintenant que tu as besoin de lui et de sa force »… Une semaine après il me faisait ce tatouage… Ce n’est pas le plus gros que j’ai, ni celui qui a pris le plus d’heures à réaliser, mais c’est celui qui a le plus de sens pour moi… Et celui qui a donné le plus chaud à  Stéphane de tous ceux qu’il m’a fait… Quand je lui ai demandé pourquoi il m’avait dit ça ce jour là, il m’a répondu qu’il ressentait certaines choses, qu’il avait ressenti cette force qui faisait que j’étais enfin prête, qu’il rêvait aussi de certaines personnes… Vous me croirez ou non, mais depuis que j’ai ce tatouage, tout s’est accéléré pour moi : la création de mon entreprise, les opportunités qui se sont ouvertes à moi, les rencontres avec certaines personnes… Mon attitude est aussi différente : je me sens plus forte, plus volontaire, plus déterminée aussi… Comme on dit en Polynésie, je pense que le « mana » de mon père est avec moi…  Je suis fière que nous ayons toutes les 3 le même symbole que mon père…

Attention à l’addiction…

Je me souviens de ce moment où Chime m’a dit que je pouvais regarder le travail fini ! Mon 1er tatouage !! Et immédiatement après l’avoir admiré, cette envie irrépressible de recommencer !! Et c’est pareil maintenant avec Stéphane : à peine terminé, j’ai déjà envie du suivant !

Ce que j’aime dans le tatouage polynésien c’est que chaque symbole raconte et retrace les moments de ma vie… J’aime que le tatoueur travaille à main levée, sans calque ni modèle, et que chaque motif soit pensé, réfléchi, travaillé pour moi… J’aime aussi que les échanges avec le tatoueur créent MON tatouage. Mais j’aime surtout ce lâcher prise et cette confiance en mon tatoueur pour accepter de ne pas savoir comment sera exactement le tatouage au final… Parce qu’elle est aussi là, la particularité des tatouages polynésiens : un gabarit tracé au stylo sur le corps, une base de départ et la créativité du tatoueur…

Je ne sais pas d’où vient ce sentiment « d’encore » quand on commence à se faire tatouer. Ma théorie, toute personnelle, c’est que les tatoueurs doivent mettre une substance addictive dans l’encre !! Quand je parle avec d’autres tatoués, ils disent la même chose : commencer c’est ne plus pouvoir s’arrêter…

Vous l’aurez compris, pour moi le tatouage n’est pas un effet de mode (même si je reconnais qu’il l’est pour certains). C’est un art à part entière, une expression de son moi profond, l’acceptation du lâcher prise. Il est arrivé à plusieurs reprises que l’on me dise « ha tu es tatouée toi ! Ca ne se voit pas ! Je n’aurais pas cru » : j’ai eu des préjugés aussi (souvenez-vous !) ! J’ai fait mes tatouages pour moi, pour ce qu’ils racontaient et pour ce qu’ils signifiaient et je les porte avec beaucoup de fierté…

J’espère qu’avec ces quelques lignes, j’aurai permis aux « récalcitrants » de voir les choses différemment, et aux passionnés d’avoir des envies d’encore…

« Le tatouage, c’est une œuvre éternelle sur un support éphémère » Pascal Tourain

J’aime cette citation, car elle veut tout dire : cette œuvre éternelle qu’est le tatouage, encrée à vie sur nos peaux, sur nos corps malheureusement éphemères…

Stéphane Kohumoetini

Chime Tahiti Tatau

logo lucien pesquié

Pour voir plus de photos de tatouages, rendez-vous sur mes pages Facebook et Instagram : Lucien Pesquié Photography